« Jusqu’où l’entretien motivationnel peut-il être adapté avant que ses objectifs, ses techniques et son esprit n’en deviennent méconnaissables ? » À un moment où les expressions « d’approche motivationnelle » et « d’inspiration motivationnelle » apparaissent de plus en plus fréquemment dans la littérature, il nous semblait intéressant de questionner le sens de ces « dérivés motivationnels ». Pour lancer, le débat nous publions en exclusivité un des chapitres inédits de la version française de Motivational Interviewing : Preparing People For Change, dans lequel Stephen Rollnick et al. abordent la difficile question de l’adaptation de l’entretien motivationnel.
Jusqu’où l’entretien motivationnel peut-il être adapté avant que ses objectifs, ses techniques et son esprit n’en deviennent méconnaissables ? Si une méthode n’est pas de l’entretien motivationnel, qu’est-elle ? Si on s’aventure en dehors de son territoire, à partir de quels autres modèles et méthodes alimenter notre compréhension et de là enrichir notre pratique clinique ? Le but de ce chapitre n’est pas de résumer ou de passer en revue les adaptations de l’entretien motivationnel qui ont été décrites ailleurs, mais de proposer quelques réponses à ces questions. Pour ce faire, notre équipe d’auteurs, cliniciens expérimentés et formateurs de diverses origines, cherchent à clarifier et à perfectionner l’usage des termes et à développer un consensus autour du contenu de l’entretien motivationnel et de ce qui y a trait. Le résultat est un cadre provisoire de compréhension des approches du changement de comportement, dans lequel trois formes d’intervention, le conseil bref, le conseil de changement de comportement et l’entretien motivationnel, sont comparés et mis en opposition. Enfin les implications de ce cadre pour les praticiens, les formateurs et les chercheurs, sont discutées.
Jugement, étiquetage et réflexe correcteur
Si l’entretien motivationnel a émergé en réaction aux attitudes d’accusation, d’étiquetage et de réflexe correcteur, en vigueur dans le champ de l’addiction, une foule d’autres contextes où le changement de comportement est un thème récurrent aurait pu lui faire bon accueil. On peut citer parmi d’autres les intervenants en milieu pénitentiaire, en milieu psychiatrique, dans les domaine de la maladie chronique ou des soins de santé primaire. Malgré la construction créative d’une approche centrée sur le patient, ou client, la prescription du changement de comportement est encore souvent bien ancrée dans le langage, les répartitions des rôles, les procédures de routine, les formations, et même, cela pourrait se discuter, dans l’agencement et l’organisation des chambres et des services hospitaliers.
Le réflexe correcteur prend habituellement la forme d’un effort fortement persuasif durant lequel le praticien s’évertue essentiellement à argumenter en faveur du changement de comportement. Si cela peut s’avérer utile dans certaines circonstances et avec certaines personnes, nous considérons qu’au cours de consultations concernant des changements de comportement, cela pourrait aller à l’encontre de l’effet recherché, et qu’ainsi la tâche centrale est de favoriser autant que faire ce peut le changement auto-dirigé.
Que recouvre cette appellation ?
Les adaptations de l’entretien motivationnel sont apparues dans la littérature pratiquement dès le début. Il suffit de regarder le chapitre de Saunder, Wilkinson, et Allsop (1991) dans la première édition de ce livre pour trouver une nouvelle appellation et une perspective différente. Depuis, le développement de ces adaptations a été mené à un rythme endiablé, prenant les noms d’entretien motivationnel bref, de négociation brève, de thérapie d’augmentation de la motivation, de consulting motivationnel, d’intervention motivationnelle et d’intervention motivationellement guidée, pour n’en nommer que quelques uns. Ces termes sont aussi parfois confondus avec les noms de méthodes qui ne sont pas liées à l’entretien motivationnel comme FRAMES, les interventions brèves et les thérapies brèves. Parfois on nomme « intervention motivationnelle » une méthode qui n’a que peu ou pas de rapport avec l’entretien motivationnel mais qui gagne par cette appellation une feinte respectabilité. On pourrait après tout, nommer une cravache, intervention motivationnellement guidée, mais cela réside clairement en dehors du cadre de cette revue ! Même dans cet ouvrage nous avons vu nos collègues dans l’obligation d’utiliser dans le chapitre 16, l’expression : « adaptations de l’entretien motivationnel ». De nombreuses questions découlent de cette situation : pourquoi ces appellations sont-elles apparues ? Quelles attitudes et aptitudes sont nécessaires lorsqu’on aborde le changement de comportement ? Quelles sont les similitudes et les différences entre ces différentes méthodes ?
Protéger l’entretien motivationnel
Une raison de la variété des noms employés est la réticence à utiliser le terme même d’entretien motivationnel, ce qui pourrait rendre la méthode d’origine méconnaissable (Rollnick et Miller, 1995). Par exemple, une adaptation à forte orientation technique pourrait mettre trop peu l’accent sur l’écoute empathique pour ressembler vraiment à de l’entretien motivationnel. L’examen attentif de ces adaptations révèle qu’elles diffèrent souvent largement dans leur dépendance aux différents principes et éléments clés de l’entretien motivationnel. Il serait ainsi justifié de ne les nommer entretien motivationnel qu’avec circonspection et nécessaire de comprendre les compétences cliniques en jeu.
Y a-t-il des méthodes différentes ?
Si c’est une chose d’éviter de perdre l’essence de l’entretien motivationnel, c’en est une autre de donner un nouveau nom à chacune de ses adaptations. D’un côté ceux qui ont développé chacune de ces méthodes ont probablement sincèrement l’impression que leur méthode diffère des autres sur plusieurs points. Il peut s’agir de la longueur de la consultation prévue ; du cadre (urgences, soins résidentiels ou ambulatoires, soins de santé primaire) ; du problème en jeu ; de l’origine de la demande de soins ; du bagage du praticien : sa formation, son niveau de compétence, etc… De l’autre, lorsqu’on entend les praticiens parler de ces méthodes, leurs similitudes sont souvent plus frappantes que leurs différences. Elles se déroulent toute dans un style non confrontant, avec un but commun : faire émerger la motivation au changement et encourager la personne à être responsable de sa prise de décision.
La prolifération de ces différentes méthodes se heurte à la tendance mondiale aux thérapies spécialisées pour lesquelles il est généralement très difficile de démontrer les effets spécifiques de traitements bien définis (Mattson, 1998), et il existe un mouvement manifeste vers la production de générique, de modèles transthéoriques et de méthodes. Il est difficile de soutenir que ces méthodes ont toutes un contenu et un effet thérapeutique qui les distinguent les unes des autres. Deux d’entre nous (Butler et coll., 199 ; Rollnick et coll., 1992) ont vu leur propre contribution à deux dénominations susciter de telles réserves que dans le livre suivant (Rollnick, Mason et Butler, 1999) la méthode n’a même pas été nommée! Il y a une forte probabilité pour que la prolifération de noms conduise à la confusion.
Quel en est le contenu ?
Comment décider quelle méthode pratique, enseigner ou évaluer ? Notre idée initiale était de produire une taxonomie des différentes méthodes, avec des indications précisant laquelle utiliser, où et quand. Malheureusement, l’absence de définition claire et d’un relevé des compétences nécessaires, a rendu ce projet irréaliste. Nous avons donc décidé de mettre ces méthodes de côté et de commencer par la question plus générale de l’attitude et des compétences qui pourraient être utilisées dans le cadre des consultations où un changement de comportement est en jeu. Il en est sorti un cadre descriptif provisoire dans lequel on a pu identifié trois formes d’intervention.
Conseil bref, conseil en changement de comportement, et entretien motivationnel
Afin d’aider les praticiens, chercheurs, formateurs et universitaires, éventuellement déconcertés, aussi bien que les chercheurs et praticiens plus expérimentés en entretien motivationnel, nous avons proposé un cadre provisoire (cf. tableau), qui identifie trois modes d’intervention : le conseil bref, le conseil en changement de comportement, et l’entretien motivationnel. Ils ont été différenciés en fonction du contexte d’intervention et des objectifs, ainsi que du style et des compétences du praticien. Ces facteurs peuvent jouer indépendamment mais tendent à être co-variants. Le tableau ci-dessous est simplement un cadre pour les rapprocher de façon cohérente. Néanmoins, au vu du contexte, les trois méthodes se focalisent sur la prise de parole autour du changement de comportement. Nous utilisons les termes de « praticien » et de « bénéficiaire » ou de « client » pour désigner les deux sujets impliqués dans ces interactions. Aussi maladroits soient ces termes, ils couvrent suffisamment largement l’éventail de situations concernées par ce type d’interventions.
Conseil bref | Conseil en changement de comportement | Entretien motivationnel | |
Contexte | |||
Durée de la séance | 5-15 mn | 5-30 mn | 30-60 mn |
Cadre | Opportuniste le plus souvent | Opportuniste ou en réponse à une demande d’aide | En réponse à une demande d’aide le plus souvent |
Objectifs | |||
Objectifs du conseil bref avec en + | Objectifs du conseil bref et du conseil en changement de comportement avec en + | ||
Exprimer du respect | Construire la relation | Développer la relation | |
Prévenir des risques | Identifier les objectifs du patient | Résoudre l’ambivalence | |
Fournir de l’information | Echanger des informations | Développer les divergences | |
Faire le choix d’une stratégie basée sur le niveau de disposition au changement du client | |||
Initier une réflexion sur un changement concernant le problème de comportement | Construire la motivation au changement | Faire émerger l’engagement au changement | |
Style | |||
Soignant/patient | Expert actif/client passif | Intervenant/Participant actif | Partenariat |
Confrontant ou provocant | Parfois | Rarement | Jamais |
Empathique | Parfois | Habituellement | Toujours |
Information | Fournie | Echangée | Echangée pour développer les divergences |
Competences | |||
Questions ouvertes | ** | ** | *** |
Affirmations | ** | ** | *** |
Résumés | * | *** | *** |
Demande d’autorisation | ** | *** | *** |
Encourager le choix et la responsabilité dans la prise de décision | ** | *** | *** |
Donner des conseils | *** | ** | * |
Ecoute réflective | * | ** | *** |
Usage directif de l’écoute réflective | * | * | *** |
Variation dans la profondeur des reflets | * | ** | *** |
Faire émerger le discours-changement | * | ** | *** |
Rouler avec la résistance | * | *** | *** |
Faire le lien avec les valeurs du client | * | * | *** |
Quelques exemples pratiques
Voici quelques exemples d’échanges classiques entre praticiens et clients, issus de la pratique clinique et de l’expérience de formateurs des auteurs ; dans lequel de ces scénarios l’entretien motivationnel est-il impliqué ? S’il ne l’est pas, quelles sont les compétences et méthodes utilisées ?
Exemple 1 : Conseil bref
Un travailleur social fait une visite de routine à une jeune mère en difficulté avec laquelle il a un bon contact. Il la questionne sur ses problèmes, et elle lui dit que ami gifle son enfant. Ce n’était pas particulièrement violent mais cela la rend malheureuse. Le travailleur social soupçonne que le couple a des problèmes de drogue. Il s’excuse d’avoir si peu de temps pour discuter et lui demande l’autorisation de lui parler franchement de sa façon de considérer ses difficultés. Il dit à la mère que ces gifles sont vraiment inquiétantes car la sécurité de son enfant est capitale. Il lui signale aussi que la consommation de drogues pourrait s’avérer dommageable pour elle et pour le développement de son enfant. La mère s’effondre en larmes ; elle accepte sans hésiter de reprendre contact avec le travailleur social si elle a besoin d’aide et de le revoir dans deux jours. Il reconnaît le courage dont elle a fait preuve en essayant de résoudre ses difficultés et l’encourage à faire le point sur sa situation et à faire ses choix en fonction de ses intérêts et de ceux de son enfant.
Au cours de cette rencontre, la parole a été essentiellement prise par le travailleur social et a consistée à dresser les grandes lignes de la prise de risques liée à un certain comportement. Néanmoins, compte tenu des circonstances, cela s’est fait de manière clair et compatissante.
Exemple 2 : Conseil en changement de comportement
Une jeune femme médecin saisit l’occasion de conduire un entretien de 6 à 7 minutes à propos du tabac, au chevet d’un homme qui a récemment fait un infarctus. Après coup, l’homme dit qu’il pensait très sérieusement à renoncer à fumer et qu’il avait été surpris que le jeune médecin ne lui fasse pas la leçon ; elle paraissait l’avoir écouté et vouloir le comprendre. Lorsqu’on lui a demandé ce quelle avait fait durant cette consultation, elle a répondu, « je ne l’ai pas poussé ; je l’ai écouté et l’ai laissé me dire pourquoi il arrêterait de fumer. » Elle a raconté qu’elle s’était souvenue de deux choses d’une série d’ateliers sur le changement de comportement : laisser les gens vous dire pourquoi et comment ils pourraient changer, et ne pas devancer la disposition au changement.
Cette clinicienne a clairement un intérêt pour les modes de communication, des capacités d’écoute, et la conscience du modèle centré sur le patient. A-t-elle utilisé l’entretien motivationnel ? Notre avis, en accord avec le cadre(cf. tableau), est que c’est probablement là un exemple de conseil en changement de comportement. Il est difficile d’en être certain sans avoir entendu ou vu un enregistrement de son entretien ; mais il y a peu de raisons de croire qu’elle a utilisé l’entretien motivationnel. Sa pratique est influencée par les formations universitaires sur les compétences en communication dans les consultations centrées sur le patient, et par les ateliers sur le changement de comportement.
Exemple 3 : Entretien motivationnel
Un conseiller de probation pousse un client en injonction de soins à aller voir sa jeune fille qui vit chez son ex-femme. Avant de partir ils abordent les sentiments de frustration et de perte qu’a le client, de ne plus vivre avec sa femme et sa fille, et à quel point elles lui manquent. Le conseiller de probation amène la conversation sur les événements qui ont conduit à la rupture – consommation et trafic de stupéfiant – et le client exprime combien il aimerait raccommoder son mariage. Le conseiller de probation fait émerger chez le client une intention claire de devenir abstinent afin de prouver son amour et son engagement à sa famille. Les objectifs et les valeurs du client sont devenus plus clairs, au moment où la perception de ses choix futurs est passée au premier plan.
Ceci est un bon exemple d’entretien motivationnel. Une de ses caractéristiques est d’aider la personne à résoudre la contradiction entre ses valeurs personnelles et le problème de comportement (développer les divergences). Il est probable que l’essentiel de la directivité et du guidage a été fait en utilisant l’écoute réflective et le renforcement sélectif.
Exemple 4 : ce qui n’est pas vraiment une consultation pour un changement de comportement
Une visiteuse à domicile, caractérisée par ses collègues comme ayant des « capacités d’écoute innées », a peu bénéficié de formation professionnelle. Elle a participé à deux jours de formation en entretien motivationnel. Elle se rend dans un appartement surpeuplé dans un quartier pauvre, où une femme enceinte est submergée par les difficultés : alcoolodépendance, dépression, violence physique avec son compagnon. Elle dit qu’elle n’a aucun espoir que ce soit pour elle ou son enfant et émet le souhait d’avorter. La visiteuse à domicile reste une heure et organise de nombreux rendez-vous. Elle dit l’avoir beaucoup écoutée et lui avoir un peu parlé de ce qui pourrait améliorer la santé du futur bébé ; la mère paraissait plus gaie lorsqu’elle l’a quittée et a exprimé quelques inquiétudes à propose des complications de l’alcoolisation sur le fœtus.
Cet exemple soulève la différence entre l’utilisation des capacités d’écoute dans le cadre d’un conseil global (probablement utilisé ici) et un discours plus centré sur le changement de comportement (peu manifeste ici). L’entretien motivationnel et le conseil sur le changement de comportement nécessitent plus qu’une écoute empathique. Le changement de comportement est clairement l’enjeu.
Trois modes d’intervention
Le guide du tableau ci-dessus est le reflet des jugements d’experts et du consensus. Comme tout travail en cours de développement, il sera alimenté par la recherche clinique et la pratique. La catégorisation décrit la meilleure pratique clinique sans tentative d’affirmer la valeur relative des compétences et stratégies. Si la plupart des compétences citées peuvent être employées dans chacune des trois catégories, nous avons différencié pour chacune leur importance, occurrence et nécessité relatives dans le conseil bref, le conseil de changement de comportement, et l’entretien motivationnel. Nous avons exclu les éléments ou caractéristiques que nous considérions comme équivalents pour toutes les catégories. Les interventions peuvent être utilisées pendant plus d’un entretien avec le patient. L’accent est mis sur les compétences nécessaires pour l’intervention et non sur les compétences des praticiens. Nous n’imaginons pas que le conseil bref ou le conseil pour le changement de comportement soient pratiqués par un praticien non compétent.
Le conseil bref
Cet ensemble de compétences est assez facile à caractériser, car largement répandu dans la pratique quotidienne des centres sociaux ou de santé, ou d’autres cadres d’intervention. Néanmoins, nous cherchons ici à caractériser le conseil fourni sur un mode qui potentialise son efficacité.
On peut expliquer les spécificités du conseil bref par le contexte dans lequel il est délivré. Il est typiquement court et centré sur un problème spécifique (le diabète par exemple), bien que plus d’un comportement soit concerné (régime, exercice etc…). Le conseil bref s’effectue souvent de manière dite opportuniste. Le client ne cherche pas alors directement de l’aide pour le comportement ou la situation à propos desquels on délivre le conseil bref. Et pourtant, le praticien profite de circonstances où le conseil bref peut s’avérer utile. L’opportunité peut s’offrir spontanément ou bien être la composante d’une intervention planifiée. Par exemple, un patient va voir son médecin à propos d’une douleur articulaire, et s’ensuit une discussion autour de la perte de poids.
Le style du conseil bref suggère une inégalité des rôles entre le praticien et le bénéficiaire. Le praticien joue le rôle de l’expert, et le client est le bénéficiaire de son expertise. Même si cela peut impliquer une position un peu plus passive du consultant, cela ne devrait pas être le cas. Des critères de bonne pratique ont pour but de réduire cette inégalité et cette passivité, augmentant ainsi la probabilité du changement. Le respect avec lequel on s’adresse au patient, la garantie de son intimité, et sa permission sollicitée avant de délivrer un conseil, sont ici extrêmement importants.
Denise Ernst (communication personnelle, mars 2000) identifie trois situations dans lesquelles le conseil bref est approprié :
- le client sollicite de l’information;
- le praticien possède une information qui pourrait être utile à son interlocuteur;
- le praticien se sent éthiquement contraint de délivrer un conseil.
Dans les deux premières situations, le conseil bref est habituellement introduit par une demande de permission. Dans la dernière situation, le praticien peut, ou non, demander l’autorisation avant de procéder. Dans tous les cas, on s’attend à ce que le client réagisse au conseil et à la pertinence de celui-ci dans son contexte de vie habituel. L’accent est alors mis sur sa responsabilité et son choix personnel.
Les compétences ici consistent à identifier les circonstances favorables au conseil bref, à aborder le sujet d’une manière respectueuse qui ne fait pas émerger une résistance inutile, puis à délivrer de l’information au client, souvent à propos d’un risque. On peut lui poser des questions ouvertes afin d’évaluer ses réactions. Les compétences d’écoute sont habituellement limitées à de brefs résumés et peut-être à des reflets simples. Les autres aptitudes, comme les reflets plus profonds ont peu d’importance dans cette approche. Les stades de changement ou la disposition au changement peuvent parfois guider le conseil, mais ne jouent pas un rôle central dans cette intervention.
L’objectif global du conseil bref, comme des trois modes d’intervention, est de favoriser le changement de comportement. Dans le conseil bref, les tâches spécifiques du praticien sont de communiquer sur le risque, de fournir une information et d’initier de processus de changement de comportement.
Le conseil de changement de comportement
Le conseil de changement de comportement est dérivé d’une méthode centrée sur le patient (Stewart et coll., 1995), dans laquelle certains principes et compétences sont liés au thème plus spécifique de changement de comportement de santé (Rollnick et coll., 1999) et à l’entretien motivationnel. Le contexte du conseil de changement de comportement est souvent plus large que celui du conseil bref, incluant de plus nombreux type de problèmes et de comportements, mais n’est pas typiquement le changement systémique qui peut être compris dans l’entretien motivationnel. Le changement systémique implique que le client décide qu’une modification majeure doit être faite dans son identité ou ses modes comportementaux, voire les deux. Par exemple, un client dépendant de l’alcool ne va pas simplement arrêter de boire mais aussi adopter une identité de non buveur, avec les modifications comportementales associées, sur plusieurs plans.
Bien qu’il puisse être très bref, le conseil en changement de comportement s’étend aussi sur de longues durées. La brièveté globale reste toujours un critère de définition. Le conseil en changement de comportement peut aussi être opportuniste mais est le plus souvent un élément planifié dans une rencontre. Par exemple, une personne diabétique rencontre un diététicien pour discuter de régime, d’exercice physique et de planification des repas, mais pourrait aussi aborder les problèmes d’identité liés au fait d’être diabétique. La conscience des stades de changement et de la disposition au changement du patient dirige le contenu et le processus de la séance. Le praticien ne cherche pas à activement développer les divergences, ce qui est un principe de l’entretien motivationnel, lorsque par exemple, on explore la divergence entre les valeurs personnelles et le comportement potentiellement destructeur.
Les rôles du praticien et du client sont plus égalitaires que dans une séance de conseil bref. Le praticien qui utilise le conseil de changement de comportement fonctionnecomme le collaborateur du client, participant actif et engagé. La rencontre est plus collaborative que celle typiquement observée lors du conseil bref, et on place une plus grande attention dans la construction des relations. Néanmoins, la construction relationnelle ne requiert pas nécessairement la même intensité que celle, essentielle à la bonne pratique de l’entretien motivationnel. Le conseil de changement de comportement a souvent une atmosphère orientée vers la tâche. Cette forme de conseil ne tire donc pas son contenu seulement de l’entretien motivationnel mais d’une méthode centrée sur le client – ou le patient – si communément pensée et pratiquée dans les institutions sanitaires et sociales (voir par ex, Rollnick et coll., 1999). L’« esprit » de cette activité est pour quelque chose dans la prise de décision partagée.
La différence entre le conseil de changement de comportement et l’entretien motivationnel sont minces. Elles emploient de nombreuses compétences globales, même si c’est de manière un peu différente. Dans le conseil de changement de comportement, on utilise les questions ouvertes et les reformulations pour comprendre le point de vue du patient et pour sentir le pourquoi, comment, et quand du changement de comportement (style de vie, habitudes, usage de médicaments, etc…). Néanmoins, l’écoute réflective peut être utilisée de façon moins directive. Ainsi le praticien suit le client, en l’écoutant plus qu’en dirigeant le processus. On est moins centré sur l’obtention du discours-changement et plus sur la compréhension de la personne. Le praticien évite de générer de la résistance et négocie des objectifs adaptés aux dispositions de la personne.
Les tâches du praticien comprennent celles décrites dans le conseil bref en leur adjoignant des éléments spécifiques destinés à identifier les buts du client (plus que ceux du praticien), à sélectionner des stratégies basées sur ces buts et la disposition du client, et enfin à travailler en pratique pour construire la motivation au changement. L’information est échangée plutôt que fournie (voir Rollnick et coll., 1999) ; à cette fin, on utilise des questions ouvertes et l’écoute réflective pour obtenir les connaissances et les besoins d’information du client, ainsi que son interprétation personnelle de l’information prodiguée.
L’entretien motivationnel
Le troisième mode d’intervention, pour lequel a été réservé l’appellation d’entretien motivationnel, comporte à l’évidence une écoute réflective de haute qualité telle qu’elle est décrite dans le conseil pour le changement de comportement, mais nécessite aussi l’utilisation stratégique de méthodes psychothérapeutiques spécifiques afin de diminuer la résistance, de résoudre l’ambivalence, de développer les divergences et d’aboutir au changement de comportement. Avec le conseil pour le changement de comportement, par exemple, le praticien pose des questions ouvertes afin d’encourager le client à parler et reformule par l’écoute réflective afin de traduire et de comprendre ce que le client a dit. Dans l’entretien motivationnel, le praticien pose de questions ouvertes particulières qui visent à faire émerger un certain type de discours (le discours-changement), et reflète de façon sélective les éléments du discours du client qui augmentent la motivation au changement, sont en faveur de la résolution de l’ambivalence, et renforcent le changement de comportement. Le praticien peut proposer (et non imposer) de nouvelles perspectives et résolutions compatibles avec le système de valeurs du client. Pour répondre à la résistance, le praticien qui fait des entretiens motivationnels, choisit des réponses qui tendent à la diminuer et à la désamorcer, et dévie le client vers le discours-changement. Ainsi, la principale différence entre le conseil de changement de comportement et l’entretien motivationnel, est l’utilisation consciente et stratégique par le praticien de ses propres réponses pour faire émerger et renforcer un certain type de discours de la part du client, réduisant ainsi les autres types de réponses.
Compte tenu de l’importance que prennent tant l’écoute, que les objectifs plus généraux inclus dans cette approche, l’entretien motivationnel se déroule moins souvent dans des situations opportunistes brèves que dans le cadre de demandes d’aide. Il peut aussi être utilisé lorsque le conseil est contraint– par exemple dans le cadre judiciaire. Le praticien a souvent une formation en conduite d’entretien, même si ce n’est pas une obligation. Le praticien travaille en collaboration avec le client, en mettant d’emblée l’accent sur la construction de la relation. L’ « esprit » de cette activité peut être comparé en cela à une danse, où le praticien conduit un effort de collaboration délicatement équilibré.