Avant l’élaboration d’une théorie propre à l’entretien motivationnel par Miller & Rose en 2009 (théorie sur laquelle nous reviendrons dans un prochain article), plusieurs théories issues de la psychologie sociale ont été utilisées pour expliquer les mécanismes d’efficacité de l’EM. Geneviève Herfroy, psycho-sociologue, nous propose ici sa vision de l’articulation entre l’EM et la psychologie sociale.

Ce texte est extrait d’un mémoire rédigé par Geneviève Herfroy intitulé « Les médecins généralistes sont-ils suffisamment formés à l’entretien motivationnel pour assurer la prise en charge du tabagisme de leurs patients ? ». Geneviève Herfroy est enseignante en sciences sanitaires et sociales, diplômée en psychologie du travail et titulaire d’un diplôme interuniversitaire en tabacologie. Si vous êtes intéressés par ce mémoire, contactez-nous.

C’est dans le cadre de la prise en charge des patients en alcoologie que l’entretien motivationnel a vu réellement le jour. Avant de développer sa propre démarche, l’entretien motivationnel s’est fondé sur l’approche centrée sur la personne de Carl Rogers (1), la balance décisionnelle de Janis et Man (2), le sentiment d’efficacité personnelle de Bandura (3), la théorie de la réactance de Brehm (4).

liensL’entretien motivationnel s’appuie également sur la théorie de l’engagement de Kiesler (1971). Pour ce dernier, l’engagement repose sur cinq facteurs que sont la liberté associée à la réalisation de l’acte, le caractère explicite de l’acte et son caractère plus ou moins irrévocable, le nombre d’actes réalisés et l’importance de l’acte pour l’individu. Un acte est d’autant plus engageant qu’il est coûteux, répété et irréversible, un acte public est plus engageant qu’un acte privé et enfin un acte émis dans un contexte de libre choix est plus engageant qu’un acte émis dans un contexte coercitif. Kiesler considère le facteur de liberté associée à la réalisation de l’acte comme le facteur central servant probablement de médiateur aux autres. Ce facteur désigne le sentiment qu’a l’individu d’être libre dans son choix de réaliser ou non l’acte. On peut se servir, pour manipuler ce sentiment de liberté, du langage (« vous êtes libre de refuser de… »), de la promesse d’une récompense forte (dans ce cas l’engagement est faible) ou faible (dans ce cas l’engagement est fort).

L’entretien motivationnel repose également sur la théorie de la dissonance cognitive de Festinger (1957). La consistance entre cognitions pouvant être considérée comme une sorte d’optimum psychologique, Festinger s’intéresse aux cas où cet optimum ne serait pas atteint et parle alors de dissonance. Elle apparaît lorsqu’une cognition nouvelle est en contradiction avec des cognitions qui sont déjà ancrées dans l’univers mental du sujet, conduisant à un état de tension. C’est cet état de tension que l’individu va chercher à réduire. (5)

Des psychologues sociaux, Joule et Beauvois (1998, 2002), développent ces théories de l’engagement et de la dissonance cognitive avec leurs applications concrètes dans des domaines variés en soulignant les limites entre la manipulation et la soumission librement consentie. (6) (7)

De plus, l’entretien motivationnel doit faciliter le passage d’une attitude (une pensée) à la mise en œuvre d’un comportement (un acte). Un patient peut être convaincu que fumer n’est pas bon pour la santé et continuer de fumer. Il faut donc que la communication soit persuasive et engageante. Il ne suffit pas de donner de l’information, d’argumenter, de donner des exemples irréfutables, il faut que la communication change l’attitude et le comportement sans que l’individu ait l’impression qu’on lui dicte ce qu’il doit faire. Les bases théoriques ont été élaborées par Hovland, Janis et Kelley (1953) qui se sont intéressés aux caractéristiques de l’émetteur à l’origine du message, au contenu du message, au canal utilisé et aux caractéristiques de l’auditoire. Par ailleurs, selon la théorie de l’action raisonnée de Fishbein et Ajzen (1975), la relation entre attitude et comportement passerait par la formulation d’une intention comportementale. Si celle-ci est présente, l’attitude influencera le comportement. Elle représenterait les facteurs motivationnels qui conduisent à l’action. Elle indiquerait l’intensité de la volonté pour l’accomplissement des actions requises afin d’atteindre des objectifs, l’intention étant déterminée par deux éléments que sont l’attitude vis-à-vis du comportement et les normes subjectives ou les pressions sociales (5).

  1. Rogers Carl. Le développement de la personne, Editions Dunod 1966
  2. Janis I, Mann L. 1977. Decision Making : A Psychological Analysis of conflict, Choice and Commitment. Free Press. P 512
  3. Bandura A. 1977. Self-efficacity : Toward a Unifying Theory of behavioral Change. Psychological Review, 191-215
  4. Brehm J.W. 1966. A theory of psychological reactance. Academic Press
  5. Delouvée Sylvain, Psychologie sociale, Editions Dunod mai 2010, « attitude et changement » p 64-p 83
  6. Joule Robert-Vincent, Beauvois Jean-Léon, La soumission librement consentie – Comment amener les gens à faire librement ce qu’ils doivent faire ?, Editions PUF 1998
  7. Joule Robert-Vincent, Beauvois Jean-Léon, Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, Editions PUG 2002