Se former à l’entretien motivationnel ne se fait pas en deux jours, on le sait ! Les séminaires de formations sont le lieu de l’apprentissage théorique, de la mise en application par des exercices, de la (re)découverte de nos réflexes correcteurs par l’observation mutuelle des pratiques d’entretien. Après, il s’agit de mettre en oeuvre au quotidien cette manière de faire qui ne nous est pas naturelle. Etre supervisé dans ce processus d’apprentissage est essentiel, comme le montrent les études menées par l’IPPSA dans le cadre de ses recherches-actions auprès d’infirmières scolaires.
L’Institut de promotion de la prévention secondaire en addictologie (IPPSA) et l’AFDEM sont de longue date des compagnons de route associatifs, partageant notamment de nombreuses valeurs, des intervenants de formation, un local… L’IPPSA existe depuis 2005 et accueille l’AFDEM dans son local depuis 2007. Son président (Gérald Demortière), trois de ses salariés permanents (Dorothée Lécallier, Fatima Hadj-Slimane et Philippe Michaud) sont formateurs à l’EM, et ce n’est pas un hasard si, cherchant à développer les approches efficaces en prévention, l’IPPSA se sert au quotidien de l’EM dans la définition du contenu et du style relationnel des interventions brèves. C’est encore plus vrai depuis qu’il travaille au développement de la prévention secondaire chez les adolescents consommateurs de substances psycho-actives. En effet, quand on travaille sur le risque lié à l’alcool chez les adultes, le produit est explicitement au centre des préoccupations, mais lorsqu’il s’agit d’intervenir sur l’ensemble des risques attachés aux consommations, comme chez les adolescents, la motivation intrinsèque au changement est encore moins prévisible : car quel va être le changement prioritaire ?
Depuis 2006 l’IPPSA forme donc des médecins et des infirmières scolaires au repérage par la DEP-ADO et aux interventions brèves motivationnelles. L’IPPSA est une équipe qui mène des recherches-actions, et veille par conséquent à évaluer en permanence ses hypothèses et ses réalisations. Une première étude a porté sur l’effet du repérage par la DEP-ADO sur l’orientation des jeunes vers les structures de soin spécialisées (étude ROC-ADO : repérer, orienter, conseiller les adolescents consommateurs de SPA). Cette étude n’a pas montré d’effet supérieur d’une stratégie de repérage systématique par la DEP-ADO quand on la compare à une simple information en classe ; par contre elle a montré que les jeunes scolarisés qui, à la suite de leur évaluation par la DEP-ADO, bénéficiaient d’un dialogue mené sur un mode motivationnel, revenaient voir les médecins et infirmières scolaires bien plus souvent que lorsqu’on leur propose en classe. A l’occasion de cette étude, nous avons pu constater à quel point les adultes de l’éducation nationale formés, lorsqu’ils se trouvaient dans les exercices de la formation devant un (pseudo-)jeune en grande difficulté, avaient du mal à contenir leur réflexe correcteur. Mais dans le cours de l’étude, l’occasion donnée aux jeunes d’un dialogue ouvert à leurs préoccupations semblait les avoir intéressés.
Ce constat a mené l’équipe de l’IPPSA à mettre en place, à l’occasion d’une nouvelle formation programmée dans le Val-d’Oise, une étude préliminaire cherchant à évaluer à quel point l’intégration d’un processus de supervision pouvait améliorer les capacités en EM des personnes formées. Cette étude a été nommée PAPRICA, pour Projet d’Accompagnement des Personnels de santé scolaires au Repérage et à l’Intervention auprès de Consommateurs Adolescents, et déjà rien que l’acronyme nous a demandé trois mois de travail pour le créer et six mois pour le mémoriser Elle consistait à randomiser en deux groupes les infirmières et médecins formés et volontaires pour participer à l’étude. Les deux groupes bénéficiaient d’une même supervision, sous la forme de quatre séances de deux heures, à un mois d’intervalle, en réunions de trois ou quatre participants animées par un éminent membre de l’AFDEM, Thierry Lemerdy – mais dans le premier groupe cette supervision était réalisée immédiatement après la formation et dans le deuxième elle était différée de quatre mois, si bien qu’on pouvait comparer à quatre mois de la formation les capacités en EM des personnes ayant déjà ou pas encore bénéficié de la supervision. Cela impliquait d’organiser (ce fut la rude tâche de Fatima Hadj-Slimane), outre les séances de supervision elles-mêmes, des séances d’évaluation juste après la formation, au quatrième mois et au huitième mois après celle-ci. L’évaluation a été réalisée sous la forme d’entretiens enregistrés, menés auprès d’une adolescente jouée par une formatrice, rôle le plus souvent tenu par Sylvie Aubague. Il est important de signaler que l’AFDEM avait décidé en assemblée générale de soutenir financièrement cette étude et qu’elle a en particulier pris en charge la rémunération du temps de travail de ses formateurs impliqués dans l’étude.
« Les résultats [. . . ] montrent des différences significatives dans des capacités et dans l’attitude selon que la supervision a eu lieu ou non [. . . ]. Ils vérifient aussi qu’un séminaire de formation de trois jours ne suffit pas à donner une bonne intégration de l’EM »
Sur 40 personnes formées, 21 se sont proposées pour l’étude, et 19 l’ont effectivement menée ; les entretiens enregistrés, anonymisés et reclassés dans un ordre aléatoire, ont été cotés avec le MITI par Philippe Michaud et Dorothée Lécallier. Puis l’analyse des résultats a été conduite, gracieusement, et nous tenons à saluer le geste, par Sylvie Lancrenon (société de biostatistiques Sylia-Stat). Les comparaisons principales portaient sur le temps juste après la formation (pour vérifier que les deux groupes étaient au même niveau avant d’être randomisés), sur les entretiens d’évaluation survenant après la supervision pour le premier groupe (pour mesurer si les évolutions constatées étaient plus favorables que dans le deuxième groupe pas encore supervisé) ; et sur les différences observées dans les deux groupes avant et après la supervision.
Les résultats (diaporama sur le site de la Société Française d’Alcoologie) ont été présentés à la Société française d’alcoologie et seront prochainement publiés. Malgré la taille restreinte de l’échantillon qui rendait la puissance statistique faible, ils montrent des différences significatives dans des capacités et dans l’attitude selon que la supervision a eu lieu ou non, dans les comparaisons intergroupes et avant-après. Ils vérifient aussi qu’un séminaire de formation de trois jours ne suffit pas à donner une bonne intégration de l’EM.
L’analyse du processus donne aussi des informations sur la difficulté à mettre en œuvre une telle formule de supervision avec des professionnels travaillant dans des établissements différents, malgré leur grande proximité géographique.
Sur ces constats l’IPPSA s’est lancé dans une autre étude, en direction cette fois d’élèves sages-femmes, étude à laquelle il invite une nouvelle fois l’AFDEM à prendre toute sa place. Dans cette nouvelle étude, dite FOSFEM (Formation des Sages-Femmes à l’EM), la supervision aura lieu sous la forme de feedbacks d’entretiens, réalisés par téléphone. Nous espérons, grâce à un échantillon plus grand (60 personnes), montrer en quoi cette formule peut élever le niveau de capacité en EM des personnes formées. L’étude vient de commencer, elle va nécessiter de nombreuses cotations MITI, et nous espérons que les formateurs à l’EM de l’AFDEM y verront l’occasion de démontrer leur compétence en cotation par le MITI, parce qu’il est clair que les 180 cotations attendues ne pourront se faire sur les seules forces de l’équipe de l’IPPSA ! Nous espérons vos candidatures, vous tous qui employez vos énergies à diffuser l’EM et à augmenter les capacités des participants à vos formations ; ce peut être l’occasion de renforcer la pratique du MITI, instrument précieux pour la pédagogie de l’EM, pratique dont la rigueur est aussi nécessaire pour l’étude que pour un bon usage dans les formations et supervisions. Engagez-vous, rengagez-vous !
Ce travail permettra sans doute d’élargir encore les publics professionnels mobilisés pour la pratique de l’EM.
Photographies : FineShots & Trevor Bair / Flickr