A l’occasion de la sortie de la traduction française en mars 2021, nous vous proposons la lecture de l’avant-propos des traducteurs Dorothée Lécallier et Philippe Michaud, médecins addictologues, cofondateurs et formateurs à l’EM mais également l’interview de David Rosengren, l’auteur, qu’ils ont réalisé afin d’accompagner cette publication.

 

Cet ouvrage est disponible sur notre site partenaire Dunod :

https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/grand-manuel-entretien-motivationnel-pratiques-et-savoir-faire

 

Avant-propos des traducteurs : 

Voici venu un nouvel ouvrage sur l’entretien motivationnel (EM), entièrement conçu pour faciliter l’apprentissage de cette pratique exigeante et passionnante. Après le manuel de Miller et Rollnick et l’impressionnante diffusion de ses deux éditions dans le monde francophone, après des ouvrages traduits de l’anglais abordant des sujets aussi divers que l’utilisation de l’EM en soins, chez les adolescents, en santé mentale, en groupe ; après l’ouvrage original de nos collègues belges sur l’EM en soins infirmiers – et d’autres sans doute, que nous n’avons pas tous repérés – voici le « Rosengren ». David Rosengren, qui exerce aux Etats-Unis, est membre du MINT (réseau international des formateurs à l’EM) depuis sa création ; et il a depuis exercé comme clinicien, comme chercheur et comme formateur en s’appuyant quotidiennement sur les concepts de l’EM et ses pratiques, mais aussi sur la sagesse accumulée par ses collègues, ses pairs, ses patients, ses stagiaires de formation. Et il l’a partagée sous la forme de ce manuel d’autoformation, dont vous pouvez lire ici la traduction française. C’est en fait la deuxième édition, très révisée, d’un ouvrage paru une première fois en 2010, qui avait connu un grand succès chez les anglophones, à mesure que s’étendait la pratique de l’EM – et que chacun pouvait mesurer qu’il ne suffit pas d’un séminaire de deux jours pour en acquérir l’esprit, l’approche stratégique et les savoir-faire. David Rosengren a refondu son ouvrage pour tenir compte des avancées de la science sur ce qui fait l’efficacité de l’EM. En effet, la littérature publiée ne se porte plus seulement sur l’efficacité de l’entretien motivationnel, mais sur les mécanismes de son efficacité. Ce n’est pas le moindre mérite de cet ouvrage que de prendre ses lecteurs pour des adultes éclairés, en leur donnant l’état de la recherche, en séparant le certain du conjecturel, en donnant à réfléchir aux ponts entre l’EM et d’autres approches de la psychologie du changement.

L’EM est, comme nous le disions, une pratique exigeante et passionnante. Beaucoup qui l’utilisent la jugent rapidement si essentielle à leur activité qu’ils se donnent les moyens de s’y bonifier, même quand c’est difficile. Cet ouvrage est un de ces moyens, et il manquait aux francophones. Nous sommes heureux d’avoir contribué à sa publication en français, et souhaitons aux lecteurs d’y trouver toute la richesse que David Rosengren y a celée.

Dorothée Lécallier et Philippe Michaud, médecins addictologues et formateurs à l’EM depuis 2003

 

Interview :

A l’occasion de la sortie de la traduction française du Rosengren, nous avons interrogé l’auteur, David Rosengren, pour qu’il nous donne quelques commentaires sur sa démarche. Voici les échanges que nous livrons en priorité à l’AFDEM :

 

DL : Qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’écrire un manuel d’apprentissage de l’EM ?

DR : Quand nous avons commencé de former à l’EM nous avons tôt compris que les gens désiraient plus d’activité post-formation, et qu’ils en avaient besoin – je parle du temps où la terre refroidissait encore tandis que les dinosaures arpentaient la planète. Le manuel se voulait une réponse à ce besoin d’un outil servant de compagnon d’apprentissage, à côté des textes fondateurs de Miller et Rollnick. Ainsi, assez vite j’ai décidé d’un format cahier de cours et eu des idées assez claires sur la façon de le structurer : partir de vignettes, puis une revue rapide des concepts et un quiz façon magazine, enfin reprendre les concepts dans un exemple clinique et proposer de nombreuses activités d’entraînement. Ça c’était la direction, mais il m’a fallu beaucoup de temps pour la mettre en œuvre. Mais j’ai découvert que pour écrire, le mieux pour moi était de me lever de bonne heure le samedi matin, profiter de ma forme avant que la famille se réveille. C’est ainsi que pendant des années j’ai écrit tous les samedis entre 5 et 9 heures du matin ; mais maintenant que les enfants sont plus grands, je peux dormir un peu plus tard…

PM : Après toutes ces années à réaliser des formations, qu’est-ce qui vous donne l’énergie pour continuer ?

DR : Question facile : ce sont les participants aux formations. Et très franchement, notre boulot de formateurs est devenu beaucoup plus facile. Au début des années 90, nous étions des hérétiques essayant d’amener les gens à imaginer qu’il était possible de voir les choses différemment. Maintenant, la plupart des participants – presque tous – arrivent très déterminés à apprendre. Et puis, ce qui m’aide toujours à garder l’esprit ouvert, c’est que je n’arrête pas d’apprendre. Je peux améliorer mon savoir-faire de formateur et j’essaie en permanence d’apprendre de tous ces grands formateurs, comme vous-mêmes, à chaque expérience. Il y a tant de créativité ! Finalement j’essaie toujours d’apprendre y compris en dehors de l’EM, cela m’aide à élargir et à approfondir ma pensée, et m’aide à renouveler ma vision de mon travail avec l’EM.

DL : A la fin d’une formation, qu’est-ce qui vous fait penser « Celle-là, elle était vraiment bien. » ?

Ah, celle-là est plus compliquée – parce que j’ai tendance à me juger sévèrement, à me concentrer sur ce que je pourrais mieux faire. J’utilise quelques critères de jugement. Une évaluation formelle peut montrer des progrès dans les compétences, mais je ne trouve pas cela très pertinent pour juger du succès d’une formation. Ces évaluations sont utiles, mais j’essaie d’avoir un regard équilibré. Plus d’une fois une personne m’a dit que je n’y connaissais rien à l’EM et j’ai pensé « Bon, il y a de nombreuses critiques sensées, mais face à celle-ci je me sens plutôt solide ». Je crois donc que le marqueur le plus important à mes yeux est l’enthousiasme et l’intention d’en savoir plus chez les participants. Quand je l’entends et je le vois, alors je suis assez satisfait.

PM : Vous avez sans doute reçu de nombreux courriers et courriels de remerciements pour l’aide apportée par votre livre – Qu’est-ce qui a paru particulièrement utile dans votre livre, aux yeux de ceux qui vous ont écrit ?

Les réponses peuvent concerner tous les éléments du livre. Certains citeront tel exercice devenu leur favori, et cela m’oblige à rester humble, en partie parce que je dois aller vérifier de quel exercice ils parlent… Peut-être tous les sports de contact et les coups reçus sur la tête quand j’étais jeune nuisent aujourd’hui à ma mémoire ? Le jugement le plus intéressant que j’aie entendu est venu d’un formateur du MINT qui m’a dit qu’il avait intégré l’utilisation du livre dans le système de formation à grande échelle et qu’à la suite il avait pu mesurer une amélioration des évaluations. Pas un segment précis du livre donc, seulement son utilisation régulière. Cela m’a rendu heureux, parce que c’est là tout l’objet du livre.

DL : Comment utilisez-vous le Manuel pendant une session de formation – si c’est ce que vous faites ?

Cette utilisation a beaucoup varié avec le temps. Pour l’essentiel, je l’ai utilisé comme adjuvant dans des formations pour participants déjà sensibilisés et avancés. Pour les formations destinées aux débutants, je cherche surtout à susciter l’intérêt pour l’EM, et l’utilisation du livre pourrait apparaître lourde à certains. Mais, depuis que la pandémie a commencé, j’ai fait en sorte d’utiliser Zoom® pour les séances en direct, en utilisant le manuel en appui : habituellement, je donne aux participants la tâche de réaliser des exercices entre deux séances, en y incluant la lecture d’un chapitre, et en suivant les consignes d’exercice avec des vidéos ou en pratiquant dans la vie de tous les jours. Pour finir, il y a des exercices que j’aime particulièrement et utilise régulièrement, comme le Script ramifié. C’est une large combinaison d’éléments qui demande de synthétiser de multiples concepts – amenant à clarifier les concepts de discours-changement, discours-maintien, comment les intervenants influencent le comportement des clients, en appliquant différents savoir-faire et en anticipant ce qui arrivera selon la façon d’utiliser ces savoir-faire. Je le fais plutôt avec les petits groupes et il y a toujours de bonnes conversations et des idées qui se forment lorsque les uns et les autres essaient de voir comment les éléments s’articulent entre eux.

PM : Quelles améliorations – au-delà des supervisions, évidemment – imagineriez-vous pour rendre plus efficaces les sessions de formation ?

C’est le défi auquel nous faisons tous face. En ce qui me concerne, la seule chose vraiment essentielle que j’ai apprise avec le temps c’est : moins c’est mieux. C’est-à-dire qu’à nos yeux de formateurs à l’EM si impliqués depuis si longtemps, il y a tant de choses nécessaires à savoir et à comprendre. Et en même temps, nous devrions nous rappeler comme cela a été difficile pour nous d’apprendre ces choses et de les mettre en pratique. Aussi, je me concentre sur ces points : moins d’information, moins de concepts, plus d’exercices et plus de débriefing. Et cette évolution m’a fait complètement changer l’utilisation des diapos. J’y mets très peu d’information, elle est sur un polycopié et surtout je raconte maintenant ce qu’il y avait sur la diapo. Enfin, les sciences cognitives m’ont amené à modifier mon approche des tâches de l’apprentissage du point de vue des apprenants. Par exemple, plutôt que de définir tout de suite l’EM, je demande aux participants de créer leur propre définition, et s’ils n’ont jamais entendu parler de l’EM, d’imaginer ce qui pourrait entrer dans la définition. Et on pourra modifier cette définition tout au long de la formation. Cela peut paraître étrange, mais il y a de la bonne science solide sur l’importance de cela dans le processus d’apprentissage.

DL et PM : Les formations par visioconférence : quels sont les défis, et si vous en connaissez, les pratiques utiles ?

Il nous a fallu tous nous y mettre, n’est-ce-pas ? J’ai acquis beaucoup d’expérience dans ce domaine, ce qui signifie que j’ai fait de nombreuses choses de travers et pu me dire : « Bon, d’accord, je ne referai pas comme ça. », En fait, je commence à aimer plutôt ça, les formations à distance. Cela ne ressemble pas aux formations traditionnelles et nous oblige à tout repenser, mais cela donne aussi des occasions de faire du neuf et ça j’aime. Alors, voilà mon tip top ten en dix conseils, commençant par le numéro 10 :

* 10. Connaissez votre programme virtuel. Passez du temps à l’apprendre et entraînez-vous avant de l’utiliser avec un groupe.

* 9. Ayez deux ordinateurs. C’est l’investissement nécessaire pour travailler efficacement.

* 8. Tout le monde doit être visible, caméra allumée. C’est une exigence à mettre noir sur blanc au moment d’organiser la formation. La relation s’éteint si la caméra est éteinte.

* 7. L’éclairage et le son comptent. Ayez une lampe dirigée vers vous et demandez aux participants de faire de même. Nous voulons voir ces visages intéressants et c’est impossible sans lumière. Et puis, investissez dans un bon micro. Moi, j’ai un Fifine podcast microphone qui capte bien ma voix et élimine le son d’ambiance. Pas de Bluetooth : ce n’est pas fiable.

* 6. Veillez à la bande passante, celle qui sort (upload), pas celle qui entre (download). [Le Download désigne le téléchargement depuis Internet vers son ordinateur (pour télécharger une musique sur votre ordinateur par exemple), contrairement à l’upload qui fait référence aux données contenues sur votre ordinateur et que vous envoyez vers Internet (pour publier une photo sur un site par exemple) NDT]. Que vous captiez correctement Netflix ne compte pas. Voyez plutôt si votre équipement peut disposer de 12 – 15 mbps [Mega Bits Per Second, mesure du flux disponible, voir sur votre abonnement internet ! NDT ]  Alors ça collera.

* 5. Indulgence à l’égard des participants et du vôtre. Il y aura des chiens qui aboieront, des irruptions d’enfants malgré les signes sur la porte. Des vidéos que vous aviez testées avec succès refuseront de démarrer. Reconnaissez-le et allez de l’avant. Vraiment, sans hésitation. N’essayez pas de réparer. Un essai, puis allez de l’avant.

* 4. Tout prend plus de temps dans une formation virtuelle. Prévoyez-le. Moins, c’est mieux.

* 3. Utilisez les pièces de pause pour la pratique, mais variez la taille des groupes pour les exercices, en les mêlant aux tâches individuelles.

* 2. Les acquis dans les savoir-faire de formateur comptent toujours. Ecoutez soigneusement. Reliez ce qu’ils apportent avec votre agenda.

* 1. Détendez-vous et allez-y. C’est sympa, et le groupe compte encore plus sur votre énergie, alors donnez-la.

Bien sûr ce sont mes idées à moi, mais j’imagine que vous en avez de votre côté, sur ce qui marche et ce qui ne marche pas. J’adorerais les entendre !

Nous vous invitons, si vous avez une telle pratique, à prendre David Rosengren au mot !

 

David B. Rosengren Grand Manuel de l’entretien motivationnel Pratiques et savoir-faire. Préface de William Miller, Stephen Rollnick & Teresa Moyers. Traduction et avant-propos Dorothée Lécallier et Philippe Michaud. InterEditions, Paris, 2021.