Philippe Michaud est médecin addictologue. Il intervient en tant que consultant au sein de la maison d’arrêt de Nanterre, une demi-journée par semaine. Il y rencontre, le plus souvent sur leur demande exprimée par courrier, des personnes incarcérées en moyenne pour quelques mois. D’autres personnes lui sont orientées par les services de soins et sociaux à la suite des évaluations qu’ils effectuent lors de l’incarcération. Les détenus qu’il rencontre le consultent essentiellement pour des difficultés avec l’alcool. Il intervenait déjà en prison avant d’intégrer l’approche motivationnelle dans sa pratique. Il nous explique les intérêts qu’il voit à l’utilisation de l’EM en prison.

« La plupart des consultants voient un addictologue pour la première fois. En maison d’arrêt, le cannabis est très présent mais ils ne peuvent pratiquement pas boire. La plupart pensent qu’ils pourront facilement s’abstenir de boire en sortant de prison. Le sevrage non choisi mais effectif, qui annule presque toute appétence, et le fait qu’il s’agisse d’un premier parcours de soin expliquent ces ‘illusions légitimes’.

Ces consultations visent à aider les personnes à changer de regard sur leur consommation d’alcool, et à envisager un parcours de soin. Dans environ un quart des cas, le soin se poursuit lors de la sortie.

En prison les délais peuvent être longs pour obtenir cette consultation en addictologie, et les personnes arrivent parfois à l’entretien avec une certaine frustration. L’approche motivationnelle donne assez immédiatement un tour positif à l’entretien, en se centrant sur la personne et sur ses moyens pour progresser. Les séances sont assez courtes (20 à 40 minutes) et peu nombreuses (en moyenne 2 à 3 consultations durant le temps d’incarcération). Bien sûr, tout ne se passe pas uniquement durant les entretiens. Les personnes réfléchissent et progressent dans leur motivation entre les séances, qui sont assez radicalement centrées sur les motivations des gens et la mobilisation de leurs ressources. Les motivations extrinsèques peuvent être nombreuses et puissantes (pressions familiales, contraintes judiciaires, remises de peine en cas de soin, etc.), mais dès le premier entretien, on évolue vers des motivations propres à la personne (intrinsèque). Le discours est assez libre dans les entretiens, malgré le cadre contraignant de la prison.

Spécificités de cette intervention

  • L’objectif du professionnel n’est pas de faire changer de comportement vis-à-vis de l’alcool, mais de permettre à la personne de changer de regard vis-à-vis du soin.
  • Le système de contrainte forte (remises de peine, pressions familiales, incarcération – je dois changer) implique de nombreuses motivations extrinsèques. L’EM permet de le repérer et d’amener la personne à explorer ses motivations intrinsèques.
  • Le temps de rencontre est court, mais on l’utilise au plus efficace, conformément à l’esprit de l’EM.
  • On s’adresse ici à des personnes très « malades » physiquement, psychiquement et socialement. Habituellement, plus les personnes sont en difficulté, plus il est difficile pour elles d’adhérer à un parcours de soin. L’EM, en leur faisant découvrir rapidement leurs propres outils du changement, permet de guider les personnes vers une aide acceptée. »

Photographie : © Jonathon Hayward – source : http://www.sxc.hu/