Par Françoise Cousin et Hernando Rebolledo, service Prévention Tabac / Promotion de la santé du Fonds des Affections Respiratoires (FARES asbl) à Bruxelles, Belgique. Article paru dans la revue Education Santé N°271, octobre 2011, sous le titre « « L’entretien motivationnel, est-il cohérent avec la promotion de la santé » : http://www.educationsante.be/es/sommaire.php

La promotion de la santé1 établit un cadre de référence, dont l’application nécessite la mise en oeuvre de méthodes précises, par exemple des dispositifs de travail social pour développer l’axe communautaire, ou des méthodes pédagogiques pour développer l’axe éducatif.

Également, pour intégrer la prévention du tabagisme dans ce cadre, il est nécessaire d’utiliser une approche qui soit à la fois cohérente avec la philosophie de la promotion de la santé et efficace dans le domaine des assuétudes. L’équipe du Service Prévention Tabac du FARES asbl explore depuis cinq ans les possibilités d’adapter, dans cette perspective, les principes et les stratégies de l’entretien motivationnel.

Même s’il s’agit d’un modèle d’intervention utilisé davantage en consultation thérapeutique individuelle, ce qui le caractérise est une méthode de communication, basée sur des principes du courant humaniste en psychologie, spécialement l’approche « centrée sur la personne », de Carl Rogers2, qui a été largement appliquée, non seulement dans la psychothérapie individuelle et de groupe, mais également dans d’autres domaines tels que l’éducation et le développement communautaire.

En partant de cette approche, un des apports principaux de Miller et Rollnick, créateurs de l’entretien motivationnel, a été la systématisation de stratégies de communication permettant d’aborder la question de la motivation par rapport à des comportements précis, spécialement les assuétudes3. Le but est d’aider la personne à éclairer ses choix, à fixer et à atteindre ses objectifs propres, à l’égard de ces comportements, tout en restant dans le respect de son autonomie et le renforcement de ses ressources.

Le modèle se base sur une philosophie, dont les éléments principaux sont les suivants :

« Collaboration : ‘ L’intervention implique un partenariat qui met en valeur l’expertise du client et ses points de vue ‘. Evocation : ‘ La motivation intrinsèque est augmentée par la mise au jour des perceptions propres du client, de ses buts, de ses valeurs.’ Autonomie : ’ L’intervenant affirme les droits et la capacité du client à diriger son sort et facilite un choix éclairé‘. »4

Il s’agit au fond d’une éthique de la relation, d’une « manière d’être avec l’autre », qui a fait la preuve de son efficacité dans la prévention secondaire et le traitement. Dans ces domaines, la formation à l’entretien motivationnel est offerte, dans le cadre d’autres programmes du Fares, aux différents professionnels de santé, tels que médecins généralistes, pneumologues, gynécologues, infirmiers, sages femmes. L’objectif est d’enrichir les interventions en matière de tabagisme, avec une approche qui prend en compte la globalité de la personne.

Ce sont ces principes philosophiques qui constituent également la base d’une adaptation de l’approche motivationnelle à la prévention au sens large.

Formation à l’entretien motivationnel : un style de communication adapté à la prévention auprès des adolescents

Le Fares offre cette formation aux professionnels relais, tels que les responsables de la santé à l’école, les éducateurs, les travailleurs sociaux, les animateurs de maisons de jeunes, les professionnels de l’aide à la jeunesse, etc. Concernant le tabagisme, évidemment l’objectif de la formation n’est pas que les professionnels puissent accompagner un processus d’arrêt tabagique, mais qu’ils soient davantage compétents pour susciter et renforcer la réflexion des adolescents sur la consommation et les facteurs sociaux et culturels associés.

Au-delà du thème tabac, la formation vise à renforcer les compétences des participants pour aider les jeunes à augmenter leur motivation, se fixer des objectifs et développer leurs ressources face aux éventuelles situations difficiles. Plusieurs exemples peuvent l’illustrer, notamment le décrochage scolaire, l’engagement dans un stage de formation professionnelle, ou les consommations à risque.

La formation constitue un espace d’échanges où les expériences de travail des participants sont discutées, en identifiant ce qui fonctionne, ce qui fonctionne moins bien et les manières dont les principes, les stratégies et les techniques de l’entretien motivationnel pourraient venir enrichir leurs compétences communicationnelles en prévention.
Voici quelques exemples. Il ne s’agit pas d’un résumé de l’entretien motivationnel, mais d’illustrations de l’application de certains éléments de cette approche à la prévention, de manière cohérente avec la philosophie de la promotion de la santé.

Faire la prévention avec les jeunes et partir toujours de leurs représentations

Concernant le principe de collaboration, la discussion se centre sur la nécessité d’assurer une participation effective des adolescents à la planification, la mise en place et à l’évaluation des actions de prévention.

Le principe d’évocation rejoint la stratégie de partir des représentations des jeunes. En effet, ce n’est plus l’expert qui arrive, par exemple, avec des informations sur les méfaits du tabac et des conseils pour arrêter ou ne pas commencer, mais un adulte relais qui propose d’entamer des échanges, en partant des inquiétudes et des intérêts des adolescents.

Un indicateur de l’application de ce principe est le temps accordé à la parole des jeunes. Celui-ci sera nettement supérieur au temps de parole des intervenants. La technique des questions ouvertes est utilisée afin d’amener les jeunes à partager leurs points de vue et leurs perceptions. C’est au travers de ces échanges qu’ils vont approfondir et enrichir leur réflexion sur le sens des consommations et sur les ressources internes et externes qu’ils peuvent mobiliser.

Un thème de discussion qui émerge souvent concerne la place de l’information ou des conseils, traditionnellement associée à la prévention et aux missions des professionnels de santé. Des repères précis sont présentés, qui permettent d’accomplir ce qui est considéré comme un devoir professionnel, tout en suscitant l’expression des jeunes sur ce qu’ils connaissent déjà ou sur leurs réactions à l’information ou au conseil fournis.

Le principe d’autonomie met l’accent sur la reconnaissance de l’adolescent comme une personne responsable de ses décisions et de son comportement, même si ceux-ci ne correspondent pas à ce que le professionnel relais souhaiterait5. Cette perspective permet d’éclairer certains thèmes controversés, tels que les difficultés éthiques impliquées dans les actions de prévention par la peur, ou le travail nécessaire sur le sens de la loi, lors de la mise en place des interdictions.

En lien avec chaque principe, la formation identifie des pièges qui empêchent leur application, tel que le jugement moralisateur de l’intervenant vis-à-vis de certains comportements, ou l’imposition de l’avis de l’expert, en discutant, par exemple, sur les assuétudes.

Ecouter les jeunes et valoriser leurs ressources, dans un cadre individuel ou collectif

Les principes philosophiques deviennent opérationnels au moyen de stratégies et de techniques qui peuvent constituer également des outils applicables à la prévention.

Concernant l’empathie6, et la technique de l’écoute réflective associée, leur importance dans toute relation visant à promouvoir le bien-être des personnes est largement reconnue. Un exemple dans le domaine de prévention du tabagisme est la place accordée à l’expression des aspects positifs que peut procurer la consommation, ce qui constitue un point de départ incontournable pour pouvoir aborder le thème avec les jeunes qui fument déjà. L’écoute empathique constitue également le principe basique permettant la mise en place d’espaces d’expression et de dialogue pour les adolescents, dans l’école ou dans d’autres contextes comme les maisons des jeunes.

Le principe stratégique « renforcer le sentiment d’efficacité personnelle »7 rejoint la conception positive de l’éducation en termes de développement personnel, ainsi que la valorisation comme technique associée. Un exemple d’application collective de cette stratégie est la discussion des facteurs de l’école qui peuvent promouvoir, ou empêcher, le développement de l’auto-efficacité des élèves, par exemple, la structuration des activités de manière coopérative, non-compétitive. Ainsi, la formation aborde à nouveau le travail sur l’environnement des adolescents.

Comme dernière illustration, mentionnons la possibilité d’utiliser en groupe la stratégie « développer les divergences »8, au moyen de l’outil « la balance décisionnelle ». Lors d’un débat avec une classe autour du tabagisme, l’intervenant peut les inviter à exprimer leurs avis sur les aspects positifs et négatifs de la consommation, ainsi que les aspects négatifs et positifs de la non-consommation. Il peut animer la discussion en utilisant des techniques telles que les questions ouvertes, les reflets et les résumés.

Les résultats

Des évaluations des acquis et de la satisfaction des participants sont réalisées à la fin de chaque module. Une évaluation d’impact à moyen terme a également été réalisée par rapport aux formations réalisées entre 2007 et 2009.

Il en ressort que pour la majorité des participants, l’acquis d’outils et de repères théoriques leurs ont permis de mieux gérer leurs entretiens avec les jeunes et de disposer de plus de ressources pour construire une relation de confiance avec eux.

Pour certains participants, la formation a permis d’intégrer davantage l’esprit de l’entretien motivationnel que les stratégies et les techniques proprement dites, principalement par manque de temps lors des entretiens.

Pour ceux qui ont la possibilité de rencontrer les jeunes sur des périodes plus longues (plusieurs entretiens ou des échanges réguliers), il leur est davantage possible de travailler sur les divergences au moyen de la balance décisionnelle et de les accompagner dans des éventuels changements.
La formation est appliquée principalement pour aborder les thématiques suivantes : la gestion du poids, les problèmes d’assuétudes dont le tabac, le cannabis et l’alcool et les situations de décrochage scolaire et d’orientation.

Les résultats obtenus jusqu’à présent permettent d’affirmer que l’adaptation à la prévention, dans un cadre de promotion de la santé, des principes et des stratégies de communication de l’entretien motivationnel, constitue une piste prometteuse qu’il faudrait continuer d’explorer, tant sous une forme individuelle que collective.

© Photographies : Revati Upadhya et Mikha S / Stock.xchng

Notes

  • 1 – En Communauté française de Belgique, la prévention auprès des jeunes se réalise dans le cadre de la Promotion de la Santé. Pour plus d’information, voir le site du Réseau Francophone International pour la Promotion de la santé (Réfips) http://www.refips.org/apropos.php
  • 2 – Pour plus d’information sur cette approche, voir http://carl-rogers.fr/
  • 3 – « Les interventions brèves utilisant l’EM avec les adolescents et les jeunes adultes permettent de réduire les conduites à risque, augmentent la rétention au traitement et améliorent les résultats de traitement dans le domaine des abus de substances. Par ailleurs, d’autres études, qualitatives, sont encourageantes et prometteuses dans le domaine de la maladie chronique et de la compliance médicamenteuse. L’EM ouvre de nouvelles perspectives dans d’autres conduites à risque (pratiques sexuelles à risque, prise de risque physique) mais aussi dans des domaines apparentés à la dépendance, comme les troubles de la conduite alimentaire. » Revue Médicale Suisse N° 496. http://titan.medhyg.ch/mh/formation/article.php3?sid=24175
  • 4 – Miller W., Rollnick S. L’entretien motivationnel. Aider la personne à engager le changement. InterEditions Dunod. Paris, 2006. P. 41
  • 5 – C’est la personne et non l’intervenant qui fixe ses objectifs, qui ne sont pas nécessairement l’arrêt ou l’abstinence. Il s’agit d’une caractéristique qui permet d’appliquer également l’entretien motivationnel dans une perspective de réduction des risques, ce qui n’est pas l’objet de cet article.
  • 6 – « Être empathique consiste à percevoir avec justesse le cadre de référence interne de son interlocuteur ainsi que les raisonnements et émotions qui en résultent. » ROGERS, Carl. Le développement de la personne. Dunod. Collection Organisation et Sciences Humaines. p. 39-45, « Comment créer une relation d’aide ».
  • 7 – « Le concept d’efficacité personnelle…fait référence au crédit qu’une personne accorde à sa capacité à mener et à réussir une tâche donné », à produire des résultats désirés. Miller W., Rollnick S. op.cit. p.45-48, Bandura, A. Auto-efficacité – le sentiment d’efficacité personnelle. Bruxelles: de Boeck. 2003
  • 8 – Développer les divergences : « …amplifier une divergence entre son comportement actuel et ses valeurs de référence ou ses objectifs plus généraux. Miller W., Rollnick S. op.cit. p.29-30, 45-48, 58